23 mars 2017

Stuart Neville, "Le silence court toujours": un serial killer bien tranquille

Un nouveau roman de Stuart Neville, c'est toujours une bonne nouvelle. Le silence pour toujours ne fait pas exception à la règle, qui nous permet de retrouver l'inspecteur  Jack Lennon, personnage désormais fétiche de l'auteur de Belfast. Quatrième de la série consacrée à l'enquêteur, après Les Fantômes de Belfast, Collusion et Les Ames volées, Le Silence court toujours nous transporte à Belfast, bien sûr. Les premières pages nous attachent aux pas d'un certain Raymond Drew : "Raymond Drew voulait mourir sur le chemin de hâlage". Nous y sommes, là, derrière lui. Il vient de sortir de chez lui, la petite maison de briques rouges qu'il habite depuis trente ans. 

Méticuleusement, Neville décrit les mouvements de cet homme : il descend Sunnyside street à pied, s'engage sur le quai, tête baissée, le corps en proie à une oppression affolante. Une halte au pub sur le quai, un whisky tourbé, le dernier. Et Raymond Drew repart sur le chemin de halage. Il a mal, étouffe, ressent la douleur violente dans son bras, continue à marcher, jette ses clés dans l'eau. Et tombe à leur suite, "englouti dans le silence de la fin".

Sunnyside Street, Belfast
C'est donc la fin pour Raymond Drew...Qui est donc cet homme que l'auteur a choisi de nous faire accompagner jusqu' au bout de sa vie ? Pour le savoir, il va falloir entrer chez cet homme-là, et c'est ce que va faire sa nièce Rea Carlisle, venue vider la maison qu'elle vient d'hériter de cet oncle qu'elle n'a pas vu depuis...28 ans. Autant dire un inconnu, et qui aurait gagné à le rester, on va le voir. Il n'y a pas grand-chose à récupérer chez tonton, qui vivait à la dure : huit sacs en plastique, huit cartons, qu'est-ce que c'est qu'une vie d'homme ? La seule chose qui résiste, c'est la pièce du fond, bizarrement fermée à clé. Elle ne va pas le rester longtemps, Rea est curieuse, et le combat entre elle, son pied de biche et la porte est bientôt gagné. Et c'est le début de la fin. Caché sous le plateau d'une table, Rea découvre un registre à couverture de cuir. Et dedans, l'horreur... Après quelques photos de famille, une page avec une mèche de cheveux blonds collée. Et, juste en-dessous, une goutte translucide, laiteuse... Un ongle déchiré. Et un prénom : Gwen. Des articles de journaux relatifs à la disparition d'une jeune femme prénommée... Gwen. Et un récit. Celui de l'enlèvement de Gwen, de sa préparation. Et ça n'est pas fini, hélas.  Le temps de réaliser, la nausée est là.

Rea, horrifiée, décide de faire appel à un flic avec qui elle est sortie, autrefois. Cet homme-là, c'est Jack Lennon, bien sûr. Pas très en forme, l'ami Lennon. Alcool, calmants, rien ne suffit à lui faire oublier la douleur, physique et morale. Plusieurs mois auparavant, il a échappé de peu à une tentative d'assassinat, dont il s'est sorti avec trois balles dans la peau. Le responsable de l'agression, un malfrat sans doute ? Non, un flic. Hewitt plus précisément, un sale type que Lennon entend bien coincer par tous les moyens. En attendant, Lennon et sa fille Ellen habitent chez Susan, l'amie de Lennon qui n'en peut tout simplement plus de vivre avec un type haineux, souffrant, en colère. Bref, ça n'est pas la grande forme. La nouvelle enquête qui se présente va-t-elle lui permettre de reprendre du poil de la bête ? Ou bien la plongée dans l'histoire abominable d'un serial killer particulièrement pervers va-t-elle au contraire l'enfoncer davantage dans une déprime sans fond ?

Neville poursuit avec Le silence court toujours son exploration parallèle de la noirceur humaine et des mutations de sa ville. Belfast a changé, Belfast s'est modernisée et globalisée, pour le meilleur et pour le pire. Quant à la noirceur humaine, ses avatars sont sans limites et fournissent à Stuart Neville l'occasion d'exprimer son inquiétude, son horreur et sa compassion. Depuis le début de la série, on a vu évoluer le ton de l'auteur : il est passé, insensiblement, de la colère à l'observation, dans le même temps où il opère un glissement de personnage : dans Les Fantômes de Belfast, le héros du roman était Gerry Fegan, ex-tueur de l'IRA, et l'enquêteur Lennon n'était, finalement, qu'un personnage de second plan. Le temps passe...  Au fil des romans, les personnages de Stuart Neville sont moins manichéens, les situations moins tranchées. On peut y voir l'apparition d'une certaine tiédeur, ou l'effet d'une maturité qui le porte à une observation plus distanciée du monde contemporain et de son environnement particulier. Ce qui est certain, c'est que si vous souhaitez faire la connaissance de Stuart Neville, il vaut mieux commencer par Les Fantômes de Belfast, et suivre ensuite son itinéraire d'écrivain. Le silence pour toujours n'est pas à proprement parler une déception, mais on l'appréciera d'autant mieux qu'on en connaît les prémices.

Stuart Neville, Le silence pour toujours, traduit de l'anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau, Rivages

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